LA COUCHE LIMITE

Quand un écoulement frotte sur une paroi, il se forme une couche de fluide ralenti au voisinage de cette paroi, qu'on appelle couche limite et de laquelle dépendent de nombreuses propriétés de l'écoulement (frottement, transferts thermiques et décollement éventuel de l'écoulement). La figure ci-contre représente le profil des vitesses u(y) à différentes abcisses x (distance au début de la plaque). On considère que la couche limite est en équilibre de pression avec la veine fluide, ce qui est vrai avant l'apparition de la turbulence.
L'équation différentielle qui régit cet écoulement est Du/dt=nu*d²u/dy², où nu est la viscosité cinématique du fluide (m²/s), et Du/dt la dérivée particulaire de u.
Les conditions aux limites sont u(x=0)=u(t=0)=u0, où u0 est la vitesse à l'infini, et u(y=0)=0 pour tout x ou t (hypothèse de vitesse nulle à la paroi).
La solution analytique est u(t,y)=u0*erf(y/2/racine(nu*t)), où erf est la fonction d'erreur, erf(z)=[2/racine(Pi)]*integrale[0,z](exp(-q²)*dq), tabulée comme suit:
z 0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 1.0 1.2 1.5 1.8 infini
erf(z) 0 0.112 0.223 0.329 0.428 0.520 0.604 0.678 0.742 0.843 0.910 0.966 0.989 1.0
c'est la solution analytique en coordonnées lagrangiennes (t,y) mais on aimerait plutôt la solution en coordonnées euleriennes (x,y). 
comme on est en régime stationnaire, Du/dt=u*du/dx, l'équation devient u*du/dx=nu*d²u/dy², avec u(x=0,y)=u0, u(x,y=0)=0. Malheureusement  cette équation ne s'intègre pas aussi facilement, Blasius (1908) a obtenu une solution du type u(x,y)=u0*profil(z), avec z=y/racine(u0/(nu*x)), où la fonction profil ressemble à une fonction erf sans en être une, n'admet pas d'expression analytique mais seulement un développement en série tiré de l'équation différentielle 2F'''+F*F''=0 avec F(0)=F'(0)=0 et F(infini)=1 (équation de Blasius), où profil(z)=F'(z). pour avoir F(infini)=1, Blasius a posé F''(0)=A=0,332 ...
Bref, les choses se compliquent vraiment et on préfère opter pour un modèle simplifié de la couche limite, où le profil des vitesses a été linéarisé selon y (voir  plus bas ).
La solution lagrangienne est néanmoins intéressante car on la retrouve aussi

  • en transfert thermique quand on applique un échelon de température à la surface d'un mur semi-infini (régime transitoire).
  • en diffusion moléculaire au contact d'une source ionique (membrane semi-perméable ou surface d'une électrode) ou à l'interface de 2 fluides de concentrations différentes.
  • en diffusion cinétique à l'interface (fluide moteur)-(fluide induit) d'un éjecteur. u est alors la demi-vitesse différentielle entre fluides, faible devant la vitesse générale de l'écoulement Ug, aussi peut on alors assimiler x~=Ug*t.

  • La table ci-dessous donne les valeurs des différentes diffusivités pour l'air et l'eau:
    diffusivité (à 20°C, 1 bar) cinématique (m²/s): nu thermique (m²/s): a moléculaire (m²/s): D
    dimension de u vitesse (m/s) température (K) concentration (kg/m³)
    air
    1.55e-5
    2.17e-5
    ~2e-5
    eau
    1e-6
    1.43e-7
    ~2e-9
    Pour l'air les différentes diffusivités sont du même ordre de grandeur, mais pas pour l'eau, ce qui signifie qu'entre 2 couches d'eau voisines dans l'océan, les vitesses s'équilibrent, puis 7 fois moins vite les températures, puis encore 70 fois moins vite les salinités. La faiblesse du coefficient de diffusion moléculaire est LA cause principale des pertes exergétiques dans les piles à combustible, en électrodialyse et en osmose inverse,ce qu'on résoud par la miniaturisation. 
    Voici notre modèle simplifié de la couche limite, où la description du profil des vitesses se ramène à un seul paramètre, l'épaisseur e de la couche. e dépend de x. A x donné, u(y)=u0*y/e si y<e, u(y)=u0 si y>e.
    Soit tau la contrainte de frottement à la paroi: tau=eta*(du/dy)y=0 (en Pa=N/m²). eta=rho*nu est la viscosité dynamique (en Pa.s), rho la masse volumique (kg/m3). On a donc tau=u0*eta/e.
    Le débit de quantité de mouvement déficitaire est P-=integrale[0,e](rho*u*(u0-u)*dy)=rho*u0²*integrale[0,e]((y/e-y²/e²)*dy), P-=rho*u0²*e/6, P-=Pdyn*e/3 (en N/m). Pdyn=rho*u0²/2 est la pression dynamique (surcroit de pression face à l'écoulement).
    L'augmentation de P- selon x est dûe au frottement: tau=d(P-)/dx, d'où l'on tire nu/e=u0*(de/dx)/6 puis d(e²)=12*nu*dx/u0 puis comme 
    e(x=0)=0, e=2*racine(3*nu*x/u0). Par définition le nombre de Reynolds de l'écoulement est Re=u0*x/nu. On a donc e=2*x*racine(3/Re).
    Le coefficient de frottement Cf est défini par tau=Pdyn*Cf. Il s'agit du coefficient de frottement local, il est adimensionnel.
    On en tire u0*eta/e=(rho*u0²/2)*Cf, 2*nu/u0/e=Cf, Cf=0.577*racine(nu/u0/x), Cf=0.577/racine(Re).
    Le débit d'énergie cinétique déficitaire est W-=integrale[0,e](rho*u*(u0²/2-u²/2)*dy)=(rho*u0³/2)*integrale[0,e]((y/e-y³/e³)*dy), W-=(rho*u0³/2)*(e/2-e/4), W-=(rho*u0³*e/8), W-=Pdyn*u0*e/4 (en W/m). On aurait pu l'utiliser pour calculer e, ce qui donne une c.l. 15% plus épaisse (c'est une légère contradiction du modèle).
    Le coefficient de frottement global Cfg est défini par P-(x0)=Pdyn*Cfg*x0 au point x0. Il est adimensionnel.
    On a cfg=(1/x0)*integrale[0,x0](Cf*dx)=(1/x0)*racine(nu/u0)*0.577*integrale[0,x0](dx/racine(x))=1.155*racine(x0*nu/u0), Cfg=1.155/racine(Rex0). Cfg est donc 2 fois plus élevé que Cf. Cette estimation est 13% moins élevée que celle de Blasius (Cfg=1.328/racine(Rex0) voir  résultats expérimentaux ), laquelle est en accord quasi-parfait avec les mesures de Nikuradse. On peut donc considérer notre modèle satisfaisant, car il est beaucoup plus simple à transposer (tout se calcule à partir du paramètre e, l'épaisseur de couche).
    Quand le nombre de Reynolds Re, proportionnel à x, passe la valeur 4.85e5 (environ), la couche limite devient turbulente avec une sous-couche laminaire. Nous n'étudierons pas la couche limite turbulente car naturellement instable et sensible à toutes sortes d'influences (vibrations, ondes sonores etc..) elle résiste à la modélisation et en plus elle est source de frottements supplémentaires, ce que, à isentropics.org, nous préférons éviter. Si certains la préfèrent, c'est qu'elle résiste mieux au décollement de veine, mais on peut obtenir le même résultat par absorption partielle de la couche limite laminaire (voir  décollement de veine ).
    Voici les résultats expérimentaux concernant le Cfg: la valeur vraie est la plus grande des 2. Pour Re=4.85e5 une transition se produit, assez brusque. En turbulent on peut extraire le coefficient de frottement local Cf par dérivation du Cfg :
    Cf(x)=d(x*Cfg)/dx=Cfg+x*d(Cfg)/dx, Cf(x)=Cfg+x*[d(Re)/dx]*[d(Cfg)/d(Re)], Cf(x)=Cfg+Re*[d(Cfg)/d(Re)]
    , Cf(x)=5.92e-2*Re^(-0.2). Chose étrange, le terme en Re^(-1) disparaît. Il correspond à un frottement local nul (si l'on arrête tout frottement à partir d'une abcisse donnée, le Cfg baisse en 1/Re). Pour Re=4.85e5, Cf(laminaire)=1.9e-3, Cf(turbulent)=4.32e-3, soit une multiplication par 2.3, équivalant à une division par 2 de la sous-couche laminaire.


    Vitesse nulle à la paroi ?
    La contrainte tangentielle de frottement sur la paroi est l'effet des molécules de gaz qui lui cèdent une partie de leur impulsion horizontale m*Vx, où m est la masse de la molécule.
    Si la vitesse moyenne <Vx> est nulle à la paroi (hypothèse communément admise), les molécules heurtent la paroi en moyenne perpendiculairement, donc elles rebondissent en moyenne perpendiculairement, l'impulsion transmise est nulle et donc la contrainte de frottement est nulle, ce qui est faux.
    Par conséquent l'hypothèse de vitesse nulle à la paroi est invalide.
    Il nous faut donc calculer <Vx> en relation avec la contrainte de frottement tau.
    On s'aidera du modèle de frottement coulombien (solide sur solide) représenté dans la figure ci-dessous.
    Dans le modèle du frottement de Coulomb, un solide appuie sur un autre avec la force normale (perpendiculaire à la surface de contact) F. La réaction R (force exercée par la surface sur le solide) est indépendante de la superficie de contact et ne dépend que de F et d'un coefficient de frottement solide Cfs caractéristique des 2 matériaux: R=(Rx,Ry)=F*(-Cfs, 1) avec Cfs=0.3 (acier-acier), Cfs=0.1 (acier-acier lubrifié), Cfs=0.04 (le minimum, téflon sur tous matériaux), Cfs=1 à 4 (le maximum, gomme sur solides). R s'oppose au glissement. Cfs a tendance à diminuer avec la vitesse de glissement, ce qui peut induire un broutement.
    Le modèle de Coulomb est un modèle macroscopique. Pour le transposer aux gaz, nous devons en trouver un équivalent microscopique. C'est ce que fait la figure ci-dessous.
    Une surface glissante (Cfs=0) avec des stries microscopiques dont les faces font avec le plan de glissement un angle têta=arctg(Cfs) se comporte au niveau macroscopique comme une surface de coefficient de frottement Cfs.
    L'avantage est que nous pouvons maintenant calculer le choc d'une molécule de gaz sur la paroi.
    Si u est la vitesse à la paroi, Pdyn=(rho*u²/2) la pression dynamique, la pression exercée sur le versant frontal est Pf=P+Pdyn*sin(têta) et sur le versant fuyant Pf'=P-Pdyn*sin(têta). La pression moyenne est donc P et la contrainte tangentielle tau=Pdyn*sin(têta)*tg(têta)=Pdyn*cos(têta)*tg²(têta). Comme tg²+1=1/cos², tau=Pdyn*Cfs²/racine(Cfs²+1). Quand Cfs est petit devant 1, on peut approximer u(y=0)=racine(2*tau/rho)/Cfs. Comme tau=eta*du/dy=eta*u' (eta en Pa.s, viscosité dynamique), il vient Cfs²*u²=2*eta*u'/rho, (1/u)'=-u'/u²=-rho*Cfs²/(2*eta), (1/u)'y=0=-Cfs²/(2*nu), Cfs et nu ne dépendent que de la paroi et de (T,P) du fluide et donc (1/u)', qu'on appelle gradient de lenteur à la paroi, peut être calculé en tout point sans connaître le profil des vitesses et est d'ailleurs constant le long de la paroi.
    A titre d'exemple, pour de l'air à 300K et 1 bar, nu=1.55e-5 m²/s, et pour de l'acier Cfs=0.3, donc (1/u)'=-2900 s/m². Si l'écoulement est sonique (u0=300m/s) et l'écoulement à la limite de la transition turbulente (nombre de Reynolds Re=4.85e5, avec Re=u0*x/nu, donc x=25mm et e=0.124mm, rho=1.2, eta=1.86e-5, tau=45 Pa), u(y=0)=28.9 m/s soit 10% de la vitesse d'écoulement, ce qui est à la limite du négligeable.
    Par contre si la paroi est en téflon (Cfs=0.04), alors u(y=0)=216 m/s (72% de la vitesse générale!). L'approximation de vitesse nulle à la paroi ne colle plus du tout à la réalité et il faut recalculer toute la couche limite... ce cas est très interessant car il permet de réaliser des microéjecteurs à débit sonique qui communiquent très vite leur impulsion à un flux sans avoir trop de pertes. 

    question?
    INDEX